V. Arthur Delville + the man through the time

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Arthur Delville

la quête du corbeau

Dissimulé dans un sombre recoin de sa boutique, Arthur, passif, semblait attendre. Son regard de glace rivé sur la fenêtre mal lavée, il observait la pluie tomber en rafale. Les gouttes d'eau venaient s'abattre contre la vitre avec violence, laissant quelques bruits sec venir briser le silence qui régnait dans l'ensemble de la pièce. Debout, imperturbable, il ne bougeait pas. C'était à peine si sa poitrine se soulevait au rythme de ses respirations, à peine si ses cils clignaient. Statue de bronze, statut de marbre, l'antiquaire se taisait dans ce schéma esquissé par la ville macabre. S'il n'avait pas été lui-même un acteur de cette terrible scène, nul doute que l'homme aurait apprécié le tableau à sa juste valeur. Peut-être même aurait-il cherché à en faire l'acquisition pour en faire un objet de décoration appréciable dans sa demeure. Impressionner Lucy aurait été son prochain objectif. Lucy. Que devait-elle penser de tout cela ? Qu'était-elle devenue ? Son cœur se pinça à l'idée qu'elle l'ait oublié et remplacé. Une moue d'une tristesse absolue se peignit sur son visage à l'image de sa Lucy dans les bras d'un autre. Il ne pouvait supporter de telles visions cauchemardesques mais elles le tourmentaient. Sans cesse, elles revenaient le fouetter avec l'acharnement d'un chaton effrayé. Et lui, le pauvre homme, ne savait comment se défendre.
Bientôt, la brume lécha la fenêtre et y déposa sa buée délicate. Cela ne changeait guère. Chaque jour était devenue une pâle copie de la veille et les rares nouvelles qui leur parvenaient n'étaient valables que quelques minutes. Il ne s'agissait jamais plus que de l'arrivée inopinée d'une nouvelle tête. Une nouvelle victime de la brume. Un soupire fendit le silence et souleva les épaules de l'homme. Sa tête se baissa tandis que ses doigts pâles effleuraient la vitre. Telle une caresse, il laissa le froid de l'extérieur glacer son corps, espérant que son cœur finirait, lui aussi, par geler à son tour pour lui offrir une mort exquise. Mais, à l'instar des jours qui avaient précédé, il n'en fut rien. Désenchanté, l'âme brisée et l'esprit fendu, l'antiquaire se détourna du paysage.
Ainsi venait-il de rompre le tableau.

Le carillon de la boutique tinta lorsque la porte s'ouvrit, il ne fit mine de vouloir se retourner pour accueillir ce client. Le regard bas, la mort dans l'âme, il laissa cet invité de fortune faire quelques pas. Les yeux clos, il l'entendit faire le tour de la pièce exiguë, suivait le rythme irrégulier de ses pas qui foulaient le sol en bois grinçant. Parfois, il se surprenait à imaginer la silhouette de la personne qui s'arrêtait devant quelques étagères encombrées, devinait que la vaisselle en porcelaine datant du siècle passé – mais de quel siècle s'agissait-il ? – attirait davantage son regard que les horloges gracieusement offertes par les citadins qui prétendaient venir du XXIème siècle. « Il y a quelqu'un ? » Arthur rouvrit les yeux, les posèrent une ultime fois sur l'horizon que lui présentait la fenêtre. Rien à part la pluie et la brume. Rien à part le mystère et l'austérité. Rien, à part le vide et la mort. Le miracle tant souhaité, tant prié, n'était pas encore prêt d'arriver.
Le client réitéra sa question et l'antiquaire s'arracha à ses pensées d'une morosité extrême. L'homme qui patientait pour lui devait avoir son âge et paraissait vêtu dans le même style. Il avait, toutefois, une fraîcheur qui, pour l'heure, restait inconnue à Arthur. Il s'approchait pendant que l'autre admirait une étrange sculpture de verre qui représentait des racines. « Pardonnez mon retard. Que puis-je faire pour vous ? » L'inconnu sursauta sans que le commerçant ne bronche. D'une voix forte et assurée, il lui expliqua le sujet de sa venue. Comme souvent, on lui avait recommandé de rendre quelques visites dans cette boutique alors qu'il interrogeait les habitants sur la possibilité de trouver une parure d'argent. Arthur pencha légèrement la tête sur le côté, acquiesça légèrement. Oui, il pouvait peut-être en avoir bien que les bijoux ne soient guère sa spécialité. Si Monsieur voulait bien le suivre, il lui en dénicherait une d'une grande beauté qui, à n'en pas douter, saurait plaire à Madame. Mêlant le geste à la parole, l'antiquaire conduisit son client entre deux étalages de babioles jusqu'à s'arrêter devant l'une d'elle. Le temps d'une envolée de secondes, il parut hésiter mais, bien vite, son bras se tendit. Il tâtonnait jusqu'à ce que ses doigts rencontrent un écrin doux au toucher. Un sourire aux lèvres, il l'attrapa et le sortit de sa cachette. Délicatement, comme s'il craignait d'abîmer la parure, il ouvrit le coffret et laissa son invité ouvrir la bouche.
De toute évidence, le voilà qui était conquis.

Bravant la pluie et le vent, l'antiquaire déambulait dans les rues de Raven Hill. De temps à autre, il s'arrêtait. Son chapeau haut-de-forme laissait s'égoutter la pluie, d'autres s'infiltraient dans le maigre interstice qui séparait son cou de sa veste de costume. Il frissonna. Ses yeux, à la limite du vert et du bleu, survolèrent les habitants et les autres commerces encore éclairés pour la plupart. Il se renfrogna et plongea sa main dans sa poche. Ses doigts cherchèrent le morceau de tissu qui gisait au fond, le trouvèrent, s'y arrêtèrent pour quelques caresses. Aussitôt, le visage rondelet et innocent d'un enfant s'esquissa dans son esprit. Il chancela, frappé par tant de réalisme. Il eût dit que William se tenait devant lui, vadrouillant sous la pluie sans s'en préoccuper. Dérouté, Arthur reprit sa route, l'image de son fils flottant devant lui.
L'enseigne bien connue de l'auberge de la ville se laissa voir entre deux ballottements. Elle naviguait, guidée par le vent, grinçait sournoisement. A elle seule, elle était le symbole de Raven Hill. Son balancement irrégulier était le synonyme des habitants, des spectres qui grouillaient à travers la ville ; son grincement présageait la morosité constante. Aucune fête dans cette ville sombre, aucune joyeuseté.
Arthur inspira et poussa la porte du Wily Fox. Le battant émit une plainte sourde dont l'antiquaire ne s'occupe guère et il la referma à peine fût-il entré. D'un bref signe de tête, il salua la propriétaire, esquissant un faible sourire pour masquer la nostalgie qui le prenait en tenaille. Trente secondes, peut-être, s'étaient écoulées avant qu'il ne remarque une attitude étrange. Ses sourcils se froncèrent et, à pas de loup, il s'approcha d'un homme qui se tenait en retrait. « Que se passe-t-il ? » s'enquit-il d'une voix qu'il espérait conviviale. « Y a un nouveau qu'à débarquer y a pas vingt minutes. Il parle pas un mot d'anglais, que du japonais ou du chinois. » Ces maigres informations suffirent pour que l'esprit naturellement curieux d'Arthur soit piqué à vif. Il avança de quelques pas et ne mit pas longtemps avant de distinguer l'attroupement autour dudit nouveau. Celui-ci, trempé jusqu'aux os, avait l'air abattu d'un homme qui s'est trompé de destination. D'abord interdit face à l'allure étrange de ses vêtements, jamais il n'avait vu tel accoutrement, l'antiquaire repoussa un homme qui se trouvait sur son passage. Il se glissa ensuite à côté du nouveau qu'il inspecta une première fois. « Vous n'allez tout de même pas le laisser dans ses vêtements trempés ? Alastriona, puis-je compter sur vous pour offrir le couvert à votre invité pendant que je vais lui trouver de nouveaux habits. Il n'est pas bien large d'épaules, je pense que les miens devraient être à sa convenance. » Et sans prendre la peine d'écouter la réponse de l'aubergiste, Arthur s'élança dans les escaliers. Au premier étage se trouvait sa chambre, un lieu ordonné où chaque objet était à sa place. Il ne s'y trouvait que pour la nuit, aussi ne dérangeait-il guère le mobilier. La porte de l'armoire s'ouvrit à la volée et il attrapa des vêtements qu'il jeta par-dessus son épaule. Lui qui était, d'ordinaire, très méticuleux, semait à présent le désordre et le chaos. Très rapidement, les chemises s'éparpillèrent sur le sol, rejointes par quelques pantalons avant qu'il n'en trouve qui lui semblait convenables pour le nouvel arrivant. Les attrapant, il s'aperçut qu'il était lui-même trempé et que ses vêtements lui collaient à la peau. Arthur fouilla la chambre à la recherche de quelques serviettes et en profita pour se changer lui-même après s'être sécher et retourna dans la pièce principale de l'auberge, tenant contre lui les précieux habits.
Une nouvelle fois, il dût se glisser entre les clients pour parvenir à hauteur du nouveau. Une fois devant celui-ci, il lui tendit les vêtements d'une main maladroite. « Tenez, c'est pour vous... Euh... Pour vous changer... » A mesure qu'il parlait, il effectuait des gestes timides pour mimer l'action, espérant que cela suffirait pour se faire comprendre du nouveau.
La communication s'annonçait difficile.

Codes par Wild Hunger.