C. James Archer

Douleur. Souffrance. Les mots martelaient son crâne avec violence, s'abattant sur ses tempes lancinantes sans aucune délicatesse. Il avait mal. Plus qu'il n'était capable de l'exprimer, plus qu'il n'était possible de l'imaginer. Son sang semblait bouillir sous la chaleur qui émanait de son corps tremblant mais un courant glacé parcourait son échine, mordait sa chaire fragile. Ses pensées se brouillait, sa vue se floutait. Il n'était plus capable de voir, plus capable de réfléchir. Ses mains moites s'agrippaient, sans force, au drap défait du lit, ses lèvres laissaient quelques gémissements plaintifs s'échapper. Le bourdonnement continu l'empêchait de les entendre. Les mains des infirmières sur son torse, il ne les sentait pas. Ou à peine. Les mots rassurants de sa mère au creux de son oreille ? Inaudibles. Indiscernables.
Son corps fut secoué d'un spasme, se tordit avant que Charly ne laisse une lamentation s'élever dans l'air. Mal. Il avait mal. La mince fissure entre cauchemar et réalité était invisible. Il se trouvait maintenant incapable de discerner le vrai du faux. Cette silhouette fantomatique qui s'approchait et empêchait 媽媽  de l'enlacer, était-elle vraie ? Ces gouttes de sueur qui roulaient le long de son dos, de son front, les imaginait-il ? Qu'en était-il de ces murmures incessants qui lui soufflaient que tout allait bien se passer ?
De vains mensonges.
Encore.
Rien n'allait bien. Rien n'allait jamais bien. Ce discours lui était tenu depuis trop longtemps pour qu'il fasse l'erreur de lui accorder le moindre crédit, à présent. Il la sentait. Il la savait réelle tout en était conscient d'être le seul à pouvoir la voir. Le seul à réprimer un frisson dès qu'elle apparaissait à la porte de sa chambre. Le seul à pousser un soupire soulagé dès qu'elle disparaissait. La Mort. Cette grande manipulatrice qui lui tendait les bras ouverts mais jamais ne l'enlaçait. Cette grande faucheuse qui le traquait sans relâche, jouait avec ses nerfs délicats sans, toutefois, mettre fin à ses douleurs. Un éclair lucide le traversa. Un quart de secondes. Juste assez pour qu'il ait envie d'en finir, pas suffisamment pour qu'il ne mette des mots sur ses pensées. La douleur était revenue. Plus vive, plus forte. Plus poignante encore. Il se replia sur lui-même, retint un haut-le-cœur. Il avait mal. Dans son cœur, dans son âme.

Le repos était guérisseur. Pas suffisamment, toutefois, pour que Charly se considère comme remis. La force lui manquait, la fatigue l'accablait et cette langue électrique continuait de virevolter dans les profondeurs de son être. C'était devenu un quotidien. Les hôpitaux, les examens médicaux, les diagnostiques, toujours contradictoires, les crises. La douleur, les larmes de 媽媽, le désespoir des infirmières qui se lisait à travers leurs gestes. Le regard triste des employés, les mots de compassion. Tout autant de signes qui lui indiquaient qu'il ne pouvait continuer à vivre ça. Qu'il ne trouverait pas de véritable repos tant que cette vague vivait en lui et se nourrissait des rares forces qu'il parvenait à accumuler.
Il n'avait plus d'espoir. Il n'y avait plus d'espoir.
Son destin était scellé. Il ne restait plus qu'à l'attendre. La Mort.
La porte s'ouvrit, il tourna la tête.  媽媽 venait de quitter la chambre, il n'attendait personne. Une ombre se dessina sur le sol, une silhouetta se découpage et une jeune fille entra dans la pièce. Non. Pas une jeune fille. Elle. Charly se tendit sous les couvertures qui le couvraient, son regard froid resta pourtant sur elle. Il ne répondit pas à son salut, ses pensées désordonnées se bousculant dans son crâne malade. Il aurait dut se douter que c'était elle. Depuis plusieurs semaines, peut-être même quelques mois, elle venait le voir. Tous les soirs. Souvent à la même heure, toujours avec cet air indéchiffrable mais tendre sur le visage. Jamais sans qu'il ne comprenne la raison de sa présence. Il la connaissait. Bien sûr qu'il la connaissait. Qui n'avait pas déjà entendu de Zareen ? Mais il l'avait toujours ignorée. Tout comme il fuyait le reste des camarades, comme il évitait le monde. Ne pas avoir d'attache. Un mot d'ordre lorsque, à son instar, la santé est tellement déclinante qu'il suffirait d'un rien pour que la vie vous abandonne. A chaque fois qu'elle venait, il se taisait. Ne savait quelle attitude adopter. Elle était trop énigmatique pour qu'il saisisse la raison de sa présence, trop imprévisible pour qu'il se permette de la virer sans ménagement. Alors il se murait dans un silence obstiné jusqu'à ce qu'il finisse par lui répondre d'une voix éteinte et d'un air glacial.
Elle s'avançait, désignait ce qu'elle tenait dans les mains. Encore quelque chose qu'il ne parvenait à comprendre. Charly fronça les sourcils légèrement, tendit une main fébrile pour attraper le muffin au chocolat. Ses yeux bleus se mirent à fuir ceux de Zareen. Un garçon sauvage. Un garçon hostile. Alors qu'elle faisait preuve d'une attention frôlant la pitié, il bâtissait un mur de protection entre eux. Une barrière qu'il était impossible de briser. Ses yeux se posèrent sur le muffin qu'il tortura légèrement du bout des doigts. Il attendait. Toujours en silence. Toujours avec cet air méfiant sur le visage. Il savait les premières questions qu'elle lui poserait. C'était toujours le même refrain. Comme une chanson apprise par cœur. Comme une leçon récitée. La douce voix de la jeune fille brisa un silence devenu trop lourd. Le malade n'avait pas lâché le muffin des yeux. « Je vais bien, » souffla-t-il légèrement. Il releva la tête lentement, planta son regard dans celui de Zareen.
La tendresse qui se lisait dans ses yeux bleus était une énigme pour le jeune homme. A part sa propre mère, personne ne lui accordait le moindre geste affectif. Il n'en demandait aucun. La pitié des autres, il n'en voulait pas. Celle du personnel médical lui suffisait bien amplement. « Que veux-tu ? » La voix, encore méfiante s'était tout de même légèrement adoucie. Charly venait de se rendre compte de quelque chose. Un détail, insignifiant pour le reste de l'humanité, important pour lui.
La douleur s'était atténuée depuis l'entrée de Zareen.